vendredi 23 octobre 2015

Père Noël, cloches de Pâques, petite souris, pièges à Schtroumphfs et passe-sel

Enfant, j'ai été confronté à quatre grands mensonges institutionnalisés. Ce sont des mensonges sympas, faits pour nous rendre la vie plus belle, et je ne les regrette pas du tout... D'ailleurs j'en perpétue la majorité auprès de mes enfants, car ce sont ces belles histoires qui, avec la naïveté enfantine, donne toute sa magie à la vie...
Je veux parler ici des cloches de Pâques, du Père Noël, de la petite souris et de Dieu. Bon, j'entends d'ici les cris d'orfraie des croyants scandalisés que je compare Dieu au Père Noël ou à un rongeur collectionneur de canines. Sans rentrer dans le détail de mes convictions athées, je vous assure que de mon point de vue, la jolie histoire de Dieu créant le monde, dictant de manière plus ou moins obscure comment y vivre pour se retrouver au final tous dans le paradis éternel après la mort ressemble tout de même pas mal à une fable permettant de répondre de manière simpliste aux grandes questions : D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Avec un zeste de machiavélisme humain permettant une légère manipulation des masses en passant... D'où les rapprochements que je fais avec le fameux : "Attention, le Père Noël te regarde, il n'apporte des cadeaux qu'aux enfants sages..." qui permet aux parents d'acheter la tranquillité à peu près tout le mois de Décembre...

Bref, dans ma famille, ces traditions étaient très importantes. Et mes parents firent tout pour maintenir la magie le plus longtemps possible. Ils y parvinrent avec plus ou moins de succès selon la crédibilité de l'histoire.

Pâques et ses cloches
Je me souviens avoir remis en cause tout d'abord l'histoire des cloches de Pâques, dès l'âge de 5-6 ans je pense. Des cloches qui volent, ramenant du chocolat de Rome pour le déposer pile dans le jardin... Cela suscitait beaucoup trop de questions et d'incohérences... D'abord, on ne les voyait jamais passer. Ensuite, des cloches, ça n'a pas d'ailes, et c'est super lourd. Et enfin, les trois arguments qui m'ont fait penser que tout ceci était parfaitement fantaisiste : où une cloche pouvait-elle ranger tous ces œufs et autres chocolats pour le vol du retour ? Par quel miracle récupèraient-elles à Rome exactement les mêmes œufs que ceux qu'on pouvait trouver dans notre supermarché ? Et surtout, à midi, on les entendait rentrer, elles sonnaient à toute volée mais en fait, j'avais bien repéré qu'elles n'étaient pas parties du tout : elles avaient sonné onze fois à peine une heure auparavant et même un petit coup discret une demi-heure avant leur retour... En plus, parfois, à midi, elles n'étaient pas passées mais le chocolat apparaissait seulement quelques heures plus tard. Et quand il pleuvait elles passaient dans le garage ?? Non, mais sérieusement...

Mes enfants de 5 et 7 ans commencent à en douter largement. Heureusement, je leur ai fait croire une fois que je les avais vu passer au-dessus du quartier et ma fille a affirmé les voir s'éloigner aussi... Pouvoir de la persuasion. Et en se rendant sur place, ô miracle, il y avait des œufs dans le petit square au-dessus duquel nous les avions vues !
Et cette année, pour couper court aux doutes alimentés par les copains de l'école qui disent que ce sont les parents, j'ai mis en fond sonore les cloches de Notre-Dame une trentaine de secondes à fond dans le salon (merci Youtube), le temps pour eux de descendre de leur chambre juste avant que la cloche ne s'enfuit... Elle était entrée dans le salon ! Incroyable. Et dans la panique, elle a semé des œufs un peu partout dans le jardin et la maison. Sacrées cloches...

Dieu, le petit Jésus, l'esprit sain, la Vierge Marie et tutti quanti
La deuxième fable dont j'ai éventé l'imposture est celle de la religion. Durant mon CP, j'ai fait une petite année de catéchisme, que je n'ai sans doute pas terminée. Ma mère se souvient distinctement la conversation qu'elle avait eu avec l'animatrice, passablement agacée par mes questions durant les cours et mon scepticisme qu'elle craignait contagieux : non, je ne voulais pas admettre que Marie ait eu un enfant sans rapport sexuel. Déjà à cet âge, c'était aberrant par rapport à l'histoire de la conception que mes parents m'avaient expliquée à grand renfort de "petites graines" qui se rencontrent dans le ventre de la maman et qui me semblait bien plus crédible. Non, Jésus n'avait surement pas pu marcher sur l'eau. Ce n'est pas possible, toutes les expériences dans mon bain le prouvaient sans conteste. Bref, fi du bon Dieu, du petit Jésus et de ses miracles...

Petit papa Noël
Dans l'ordre croissant de crédibilité, vient ensuite à mon avis le Père Noël. D'ailleurs il ressemble pas mal aux représentations traditionnelles de Dieu. Et ils partagent plein d'autres caractéristiques : l'omniscience, l'invisibilité, le culte de la personnalité, la récompense des bonnes actions...
Devant mon manque de foi en l'homme rouge et mes questions pressantes, mes parents m'ont assez vite révélé le secret que je pressentais mais m'ont surtout encouragé à le laisser vivre pour que la "féérie magique de Noyel" continue de s'appliquer pour mon petit frère. Et là, on y est allé fort, très fort... Pour contrecarrer l'effet révélateur qu'avaient certaines discussions de récré, j'ai employé sans le savoir les techniques utilisées par les sectes : user et abuser de la confiance que mon petit frère avait en moi pour le persuader que c'était une cabale, destinée à lui faire perdre la foi et donc le bénéfice du Père Noël... Malgré tout, vers 8-9 ans, alors qu'il était franchement sceptique, mes parents devaient employer des trésors d'imagination pour laisser vivre le mythe.

Une année, toute la famille partait quelques jours en vacances avant Noël, pour rentrer après. C'était entendu : si le Père Noël existe, il aurait tout loisir de déposer les cadeaux durant notre absence, le jour de Noël. Sinon, mes parents seraient avec nous et ne pourraient pas garnir nos chaussons sagement alignés pour l'occasion au pied du sapin. Pour plus de sécurité, mon frère insista pour pénétrer en premier dans la maison à notre retour de vacances. Mes parents finirent par obtempérer. Je sentais la catastrophe arriver... Mais les cadeaux étaient là ! La preuve était incontestable, la foi de mon frère était ranimée pour une année entière sans soucis. Moi-même je restais stupéfait ! Comment diable cela était-il possible : nous étions à deux heures de route de là le 25 décembre... Évidemment, ma mère avait profité de "l'oubli de ses clefs" pour placer les cadeaux avant le départ. L'idée qu'on puisse intervenir sous le sapin le 22 décembre nous paraissait tellement saugrenue que nous ne l'avions même pas envisagée.

Une autre fois, ils sont parvenus à dissimuler aux fouilles investigatrices de mon petit frère une table de ping-pong durant plusieurs semaines... Là encore, en jouant sur les tabous implicites : comment aurait-il oser chercher dans le bureau paternel, toujours verrouillé et complètement sanctuarisé ?

Enfin, une année, nous décidâmes de veiller toute la nuit pour surprendre ma mère "la main dans le sac"... Nous nous installâmes dans sa chambre, plus proche du sapin, plus ou moins dissimulés, avec un Walkman et la cassette de l'intégrale des sketches de Coluche pour être certain de se tenir éveillé. La première année, mon frère s'endormit. J'ai croisé maman en pleine nuit, bien attrapée (et un peu atterrée aussi par notre entêtement...) Je pense que c'est la dernière année où mon petit frère a eu la foi. L'année suivante, elle s'est faite attrapée par toute la fratrie et, une fois notre forfait commis, nous fûmes ravis de filer au lit gratter quelques heures de sommeil avant l'ouverture des paquets...

La petite souris
Enfin, l'histoire la plus crédible (et qui arrive aussi plus tard dans l'enfance), et donc la dernière a avoir subi les conséquences de ma sagacité, est la petite souris.
Il faut dire qu'elle rend sympa un moment qui peut parfois être désagréable...
Voila comment cela se passait chez moi : une fois la dent de lait tombée, nous l'emballions dans du papier et nous glissions le tout sous l'oreiller. Et au matin, la dent avait été remplacée par un pièce de un, deux, parfois cinq francs !
J'imaginais que le rongeur utilisait toutes les dents du village pour construire sa maison, potentiellement sous mon lit d'ailleurs...
Je me souviens parfaitement m'être dit qu'il était impossible que mes parents rentrent dans ma chambre durant mon sommeil, n'ouvre le paquet, en retirent la dent, mettent une pièce à la place et replacent le tout sans que je ne m'en aperçoive... Par contre, une souris, pas de soucis, c'est petit et discret. Bon, évidemment, mes parents préparaient un second paquet qu'ils échangeaient simplement avec le premier, ce qui rendait l'exercice beaucoup plus simple. Et je sous-estimais assez largement la lourdeur de mon sommeil.

C'est à présent à mon tour de jouer à la petite souris. Je suis toujours un peu inquiet que les enfants ne se réveillent, surtout l'aîné qui a le sommeil délicat ces temps-ci. Voici quelques astuces que j'ai utilisées pour rendre l'histoire crédible. Un jour, nous avions enfermé la dent dans un tube de plastique particulièrement difficile à ouvrir. J'ai alors simulé une attaque de rongeur : le tube déchiqueté, la dent envolée et une petite pile de pièces à côté, le tout dans un recoin sombre et discret de la chambre... Mon fils prétendra même avoir vu la souris s'échapper, ce qui expliquait qu'elle n'aie pas eu le temps de tout bien ranger.
Une autre fois, alors que je tentais de procéder discrètement à l'échange en pleine nuit, mon fils se réveille et sursaute de me trouver près de lui. Je l'envoie au toilettes, substitue rapidement les deux paquets sous son oreiller et file le rejoindre dans la salle de bains. Et, pendant qu'il restait à demi-endormi sur le trône, je fais mine d'entendre du bruit dans sa chambre. Il entend également, pense de lui-même à la petite souris et file vérifier : la coquine est passée pendant que nous étions absents, elle était même surement déjà cachée dans la chambre quand nous sommes sortis ! On l'a ratée de peu...

Pièges à Schtroumpfs et autres fables familiales
Mon père est taquin. Il a toujours aimé nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je me souviens comment cela a commencé pour le cas le plus flagrant. Nous étions en voiture et nous posions à nos parents d'innombrables questions, du genre : pourquoi les nuages tiennent en l'air, et pourquoi les poissons peuvent respirer sous l'eau mais pas hors de l'eau ? Quand, passant devant un pylône de ligne à haute tension, nous lui demandâmes ce que c'était... La réponse fut immédiate et d'une sincérité confondante : "ah, ça, ce sont des pièges à Schtroumpfs. Gargamel les a posé ici pour les capturer, regardez bien si vous en voyez coincés dedans..." L'effet fonctionna au delà de ses espérances : non seulement il gagna un peu de tranquillité durant tout le trajet où nous étions occupés à vérifier si Gargamel avait réussi son coup, mais surtout, mon frère y cru longtemps, très longtemps, durant des années.
Il faut dire qu'il était fan des Schtroumpfs. A chaque fois qu'il ramenait un bon bulletin, ou pour son anniversaire ou une fête, il gagnait un album (moi, c'était Tintin...) Et un jour, il prétendit mordicus avoir vu un Schtroumpf pris au piège (on retrouve un peu ce trait de caractère pour les cloches ou la petite souris chez ses neveux et nièces...)

Ce genre d'exemple est légion et ma créativité ou celle de mon père, couplée à la crédulité confiante de mon petit frère nous ont permis de les multiplier. Un dernier pour la route... Un soir où les parents étaient de sortie et nous avaient laissés seuls à la maison (ça arrivait de temps en temps, c'était la grosse fiesta), nous choisîmes de dîner "comme des riches", et nous installâmes chacun à un bout de la table, comme nous avions surement dû le voir dans un film où un couple d'aristo dînait dans une immense salle sombre éclairée au chandelier... Et là, nous découvrîmes certains problèmes logistiques auxquels nous n'avions pas pensé : comment se passer le sel à une telle distance. Nous nous échangeâmes bien l'emballage rond La baleine en le faisant rouler sur la table, mais nous nous rendîmes vite compte que ce ne serait pas possible pour la carafe d'eau ou le plat de raviolis. C'est alors que j'imaginai qu'il pourrait y avoir un petit tapis roulant sous la table, avec laquelle nous pourrions communiquer et que je l'assénais comme une vérité générale : chez les riches, ils ont un tel système pour échanger d'un côté à l'autre de la table. Certains sont mêmes commandés avec des boutons, c'est du dernier chic. Je crois qu'il y a cru pendant des années...