vendredi 16 novembre 2018

Je suis trader

A la traditionnelle question qu'on pose aux enfants à propos de leur avenir : "et toi, qu'est ce que tu veux faire plus tard ?", la réponse que j'apportais a sensiblement varié avec mon âge.
A l'école primaire, mon plus ancien souvenir est que je voulais être vétérinaire, dans un élan altruiste d'amoureux de la nature (et des animaux) assez classique. Puis, je me suis dit que je n'aimais pas la vue du sang et que les études de médecine n'étaient donc pas pour moi...

C'est à cette époque (vers 9-10 ans) que s'est développé mon intérêt pour la numismatique, couplée à l'acquisition d'un détecteur de métaux par mon père. Cela a fait naître en moi un amour pour l'archéologie (qui ne s'est pas démenti) et une volonté d'exercer dans ce domaine (alternativement archéologue ou numismate). Mon stage de Troisième était dans cette veine (au Musée d'Archéologie local où j'ai pu découvrir effaré des monnaies incroyables endormies dans les réserves), mes premières adhésions associatives aussi (le club de numismatique de ma ville, où mon très jeune âge dépareillait bien au milieu des nombreux papys), jusqu'à mes options au lycée (histoire de l'art en seconde...)

J'ai alors rencontré un archéologue professionnel qui m'a ouvert les yeux sur la réalité du métier, loin du fantasme et plein de tracasseries administratives, coupes budgétaires et magouilles en tout genre autour des fouilles et des découvertes... Voici qui douchait un peu mon enthousiasme, car, il faut bien le dire, la passion est une chose mais j'ambitionnais tout de même de gagner le plus d'argent possible.

Hum, je crois que nous n'allons pas y couper, pour expliquer mon choix de carrière, il va tout de même falloir passer par une une introspection sur un trait de caractère qui me définit assez fortement : mon amour du pognon. D'où ça vient ? De mon éducation bien sûr, et probablement aussi d'un traumatisme d'enfant. Pas tant mon propre traumatisme, parce que je n'ai honnêtement jamais manqué de rien. Mais plutôt du traumatisme de mes parents et même mes grands-parents, qui ont tous trimé toute leur vie pour ne pas être dans la misère, et ça se ressentait à chaque instant. Tout ce que nous faisions ou discutions était centré sur des manières de gagner ou économiser de l'argent, toute activité nouvelle dans la famille était évaluée principalement sur ce critère, toujours. Avec très peu de bagages, sans héritages, c'est toujours grâce au travail et grâce à tout un tas de combines que le patrimoine familial est devenu de plus en plus intéressant. Loin d'être énorme, mais de quoi être bien à l'abri du besoin (grâce notamment à des besoins très limités), et cela constituait, pour toutes les générations, une inaltérable source de fierté.

A la même époque, le gouvernement français a eu la bonne idée de vendre ses fleurons à la population, via de fameuses campagnes de privatisations. Les plus anciennes dont je me souvienne sont apparues quand j'avais 12 ans. J'aidais alors mon père à comprendre les conditions de chaque opération et à passer les ordres dans le bureau de poste local... Et c'était génial, nous gagnions à tous les coups. Les actions étaient vendues à bon prix, avec une demande largement supérieure à l'offre. Sans doute, je pense, parce que le gouvernement ne pouvait pas se permettre de rincer plusieurs millions de petits épargnants qui étaient autant d'électeurs, si bien que nous gagnions des sous vraiment très facilement, en quelques jours, c'était incroyable ! Je me suis donc intéressé très vite au domaine, lisant tout ce que je pouvais sur le sujet, tentant à partir des cours historiques de découvrir des martingales et intuitant seul la notion de marche aléatoire avec mes archives boursières composées de vieilles coupures de journal. Je me suis ensuite intéressé aux IPO (qui ressemblaient bien à des privatisations, surtout à la belle époque de la bulle Internet), ai demandé pour mon quatorzième ou quinzième anniversaire comme cadeau un abonnement à Investir, ai compris que les conseilleurs ne sont pas les payeurs, ai découvert l'absence d'opportunité d'arbitrage en cas de détachement de dividendes ou d'attribution d'actions "gratuites", ai lancé un club d'investissement avec des amis intéressés en classes préparatoires. Bref, je me suis fait sans souffrir à moindre coût et avant même d'être majeur une culture et une expérience financière que beaucoup d'adultes n'auront jamais ou acquerront à la suite d'erreurs coûteuses.

Et au moment de choisir ma voie, un des premiers sacrifices qu'il a fallu faire, à la fin de la seconde, a été de choisir entre la voie scientifique et l'histoire de l'art, incompatibles dans mon lycée. Et, je m'en souviens très bien, dans un magazine du Centre d'Information et d'Orientation, il y avait un comparatif de salaires très complet entre tout un tas de professions. Je suis allé voir "archéologue". Il y était indiqué un bon salaire, bien plus que ce que gagnait mon père, ça c'était cool. J'ai cherché numismate, ça n'apparaissait pas. J'ai fouillé un peu dans les métiers de la finance, j'ai trouvé le métier de trader, qui semblait super et pas trop difficile : c'était ce que je faisais pour m'amuser. J'ai regardé le salaire... Wahou, c'était le plus haut de TOUTE la liste. Plus que les pilotes d'avion, les chirurgiens, des gens qui sauvaient des vies ou avaient la responsabilité du destin de centaines de personnes ! Tout ça pour jouer avec des actions. C'était incroyable, inimaginable, dans un sens incompréhensible mais c'était génial. Le plus bel arbitrage de ma vie qui s'offrait à moi : faire un truc amusant, sans d'autre pression que le stress de perdre de l'argent, pour gagner plus que des mecs qui allaient devoir faire dix ans d'études et avoir la mort de patients sur la conscience... Et à partir de là, c'est ce que j'ai voulu faire. J'ai cherché quelle était la voie conseillée : classes préparatoires puis école d'ingénieur ou de commerce... Hum, on pouvait continuer l'histoire en école de commerce, il fallait abandonner la physique qui était sympa aussi mais l'histoire c'était quand même plus cool. Et puis il y avait de l'économie aussi, ça tombe bien, j'avais suivi par procuration les cours de micro-économie d'une amie qui avait cette option en seconde et ça me plaisait bien. Tout collait, c'est ça que j'allais faire.

Et c'est ça que j'ai fait au final, tout a marché comme selon le plan. Je pense donc que j'ai bien mérité d'inscrire cet objectif dans ma liste de choses à faire avant de mourir et de le cocher avec un sourire satisfait.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire