lundi 23 novembre 2020

Souvenirs de la guerre (suite)

Après notre premier article sur le collabo du petit lac de Clairvaux-les-Lacs, reprenons nos souvenirs de la guerre.

Celui-ci me vient de mon père, qui le tenait directement d'un ancien du village qui avait directement participé. Je pense qu'il s'agissait d'un ancien vigneron d'Offlanges mais je n'en suis pas certain, je ne vais donc pas citer de nom, demandez-moi si vous voulez en savoir plus.

Nous sommes donc cette fois-ci dans l'extrême nord du département du Jura, toujours à la fin de l'occupation allemande. Je ne sais pas exactement quand. J'ignore notamment si l'action se déroule avant ou après la constitution et le massacre du maquis de Saligney, et s'il y a le moindre lien. L'histoire n'en fait pas mention en tout cas.

Donc, dans cette partie du Jura, un groupe de jeunes gens du canton de Montmirey-le-Château décide de faire quelque chose pour participer à la lutte contre l'occupant. A priori, ils agissent de leur propre initiative, sans coordination, instructions ni chef. Il semblerait qu'ils se soient monté le bonnet à plusieurs, ils ont une vingtaine d'années, il y a au moins une fille dans le lot... Bref, tout ce qu'il faut pour faire le brave.

Nos apprentis résistants échafaudent un plan : ils vont isoler un allemand, lui tomber dessus à trois ou quatre et l'occire à l'arme blanche, ni vu, ni connu. Un brave soldat qu'ils connaissent et qui est hébergé chez l'habitant dans le village de Dammartin est choisi comme cible, et l'appât n'est autre qu'une demoiselle du village à laquelle il ferait bien son affaire.

Un soir, elle le chauffe et finit par l'entraîner dans une grange. Malheureusement pour lui, la soirée ne se termine pas comme tout à fait comme il l'avait prévu. Je ne sais pas avec quelles armes le pauvre bougre a été dessoudé, mais toujours est-il que voici nos héros bien penauds. Comme le racontait le dernier témoin à l'aube de ses quatre-vingts ans, à l'excitation de l'action et l'adrénaline de son exécution succède immédiatement la sensation d'avoir commis une immense connerie. Que faire du cadavre ? Et si les boches le trouvent, ils vont probablement se venger sur le village, prendre des otages, exécuter sommairement ceux qui seront désignés par les collaborateurs du coin... Panique.

La décision est finalement prise de l'enterrer et d'espérer que les Allemands croiront à une désertion. Je ne connais malheureusement pas le lieu précis de l'inhumation sommaire. Je ne suis pas sûr que papa savait non plus. Le seul élément que je crois connaître est que, dans les années 90 quand cette histoire a été racontée, notre allemand se trouvait sous une haie de thuyas dans le village de Dammartin (ou peut-être à Champagnolot, mais pas à Marpain, c'était une autre commune à l'époque)...

Je ne suis pas sûr que beaucoup de monde ait d'avantage d'informations. Le secret avait évidemment été bien gardé au moment des faits et le témoin n'était pas vraiment fier de ce qu'ils avaient commis cette nuit-là. Sans doute des images terribles d'homme agonisant gravées à vie, et puis la peur de braver le couvre-feu pour l'enterrer, se débarrasser de la bicyclette, l'angoisse d'être découvert ou dénoncé dans les mois qui suivirent... Bref, rien qui ne donnât l'envie de raconter l'histoire, qui n'avait été confié à mon père que parce qu'il avait interrogé et qu'il avait toute la confiance du vieil homme.

Voilà, cher archéologue du futur, si tu veux retrouver un teuton que sa famille a dû attendre un moment à l'armistice, tu sais ce qu'il te reste à faire : retourner du résineux. Prends garde toutefois à ne pas t'aventurer le long de la D459 au niveau de l'ancienne gare. Notre source nous a également appris qu'un convoi allemand y a été surpris par des Spitfires lors de la retraite de 45, c'est pas le moment de se faire sauter le bonnet avec de la .50 incendiaire qui trainerait... [J'avoue, cette conclusion est moisie, mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour caser cette mini-information sur la guerre, authentique mais sans rapport avec le reste]

Suite et fin de ces souvenirs dans ce troisième article.


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