vendredi 26 juin 2015

Les chips du 29 MAR 87

Une des activités que je préférais quand j'étais petit, c'était d'aller fouiller les décharges publiques avec mon père. On appelait ça "faire les poubelles".

A l'époque, chaque commune possédait sa décharge, souvent un bord de falaise ou un trou dans lequel les habitants venaient benner tout ce qu'ils apportent aujourd'hui à la déchetterie... On y trouvait des trésors. Et pas seulement pour mes yeux d'enfants. Nous ne rentrions jamais bredouille, toujours des objets et appareils parfaitement fonctionnels, à utiliser ou à revendre sur les brocantes, de nouveaux jouets presque neufs et bien sûr pléthore de métaux que nous revendions au ferrailleur...

Et pendant quelques années exista une décharge bien particulière qui était dédiée plus particulièrement à tous les invendus alimentaires des grandes surfaces des environs. L'ambiance y était différente et on n'avait ici que quelques minutes pour fouiller les chargements déchargés par les camions avant que les bulldozers ne les enfouissent afin d'éviter une prolifération de nuisibles qui auraient immanquablement été attirés par une telle manne de nourriture. C'était beaucoup moins pratique pour un enfant de moins de 10 ans : non pas qu'il y ait un grand danger mais il fallait être rapide, se frayer un chemin parmi les autres amateurs de nourriture gratuite, souvent des manouches pas toujours très affables et j'imagine que j'aurais alors été plus un poids qu'autre chose, si bien que je n'y accompagnai mon père qu'une ou deux fois...

Parmi les centaines de kilos de victuailles parfaitement comestibles qu'il rapporta à la maison (fruits et légumes légèrement tallés, conserves cabossées ou à l'étiquette abimée, packs de yaourts dont un était percé, paquets de gâteaux proches de la date de péremption...) se trouva un jour un énorme carton rempli de sachets de chips en portion individuelle se périmant le jour de mon anniversaire.

J'adorais ces chips, principalement pour cette raison, elles étaient trop cool à arborer fièrement la date du 29 MAR 87. Et puis nous ne les consommions jamais à la maison par exemple où maman achetait des sachets plus grands. Nous ne les mangions donc qu'à l'occasion de sorties scolaires et de pique-niques, autant dire pas souvent... A ce rythme, je pense que le stock dura presque dix ans et je me souviens avoir ouvert le dernier paquet avec un brin d'émotion, probablement autour de 1995... Elles étaient toujours bonnes, cela faisait bien quelques années qu'elles avaient perdu leur craquant mais franchement, pas de raison de les jeter.

Et puis, le monde évoluant comme il évolue, des normes de sécurité se sont invitées, la décharge a été fermée au public pour des raisons "d'hygiène et sécurité"... Et oui, les gens sont des irresponsables incapables d'assumer leurs actes c'est bien connu. Alors un technocrate quelconque s'est dit un jour qu'il ne voulait pas prendre le risque de voir un scandale le rattraper si quelqu'un s'intoxiquait avec ce qu'il avait ramassé là-bas, ou même se faisait écraser par un bulldozer parce qu'il a voulu rattraper une boîte de sauce tomate. Oui, les joies de la judiciarisation de notre société... Il faudrait que je mette un mot sur ce phénomène dans mon article sur ce que j'aime/n'aime pas.
Au final, depuis, les invendus sont largement détruits au lieu de profiter aux récupérateurs. Et ça arrange sans doute de quelconques lobbies qui ont surement fait voter ces lois, même si la tendance actuelle est de nouveau à la récupération par des associations, etc.

Bref, trêve de considérations politico-philosophiques. Je terminerai plutôt en disant que j'y pense encore, de temps en temps, et particulièrement quand mes collègues s'inquiètent de voir la DLC de leur compote ou de leur yaourt dépassée de deux jours... Dans la cuisine, baignant dans les conversations superficielles qui s'en suivent immanquablement, je souris doucement en imaginant leur tête s'ils avaient goûté mes petites chips du 29 mars périmées depuis 8 ans qui m'évoquaient un anniversaire trop lointain pour que je n'en garde aucun autre souvenir...

vendredi 19 juin 2015

La gloire de mon père

En voyageant intérieurement dans mon passé et mes souvenirs, je me suis rappelé d'un moment pittoresque que je m'en vais vous conter.

J'avais huit ou neuf ans et, comme chaque année, les deux classes (SE+CP+CE1 - CE2+CM1+CM2) qui composaient l'école primaire où je suivais mon cours moyen participaient à une réunion sportive et festive entre les différentes écoles communales du canton.

Cette sortie annuelle était un véritable évènement dans ma vie d'enfant : la journée commencerait par une longue marche (4 km quand même) pour nous rendre sur la grande esplanade qui servait de stade aux 5 ou 6 écoles présentes. Puis on s'affronterait dans tout un tas d'épreuves d'adresse ou de vitesse, on mangerait un pique-nique soigneusement rangé dans notre petit sac à dos. Je pouvais être sûr d'avoir un paquet individuel de chips se périmant le jour de mon anniversaire (on en parle ici) que j'adorais... Et la journée se terminerait par divers ateliers autour des instituteurs : histoires, travaux manuels ou encore chansons accompagnées de la guitare de ce maître à qui il manquait un doigt... Enfin, ce serait le retour, long et épuisant et la longue queue devant le robinet de la cour de l'école pour nous désaltérer après un tel effort... Un peu angoissante parce que je ne savais pas très bien boire au robinet et qu'il y avait un vrai risque de se retrouver complètement trempé (gaugé en VO).

Mais cette année-là, un autre évènement a rendu cette sortie encore plus inoubliable. Nous étions à la fin des années 80, en pleine épidémie de rage dans l'est de la France et, sans parler de psychose, une certaine prudence s'imposait en cas de balade dans la nature. Or, sur le trajet de notre groupe en direction des olympiades se trouvait un petit bois qu'habitaient notamment des blaireaux et des renards, potentiellement infectés par le virus et menaçant pour un groupe d'enfants sans défense. Notre instituteur appliqua donc un principe de précaution (ou les recommandations de l'académie ?) et demanda à mon père, le garde-chasse du secteur, de bien vouloir nous escorter dans la traversée redoutée.

Alors que nous sortions du lotissement et progressions joyeusement sur le chemin de terre qui grimpait jusqu'au fameux petit bois, sous le soleil de juin, nous commençâmes à l'apercevoir au loin. Peu à peu se dessinait sa silhouette rassurante. Il était équipé de tous les accessoires qui firent immédiatement forte impression à tous mes camarades : un képi, des rangers, un uniforme vert sur lequel la plaque traditionnelle des gardes-chasse était accrochée et surtout, bien sûr, un ceinturon supportant le 357 Magnum de service qui assurait notre protection contre l'infection de la rage... Et ouais, c'était mon papa, nous n'avions rien à craindre, c'était lui le meilleur tireur de tout le département !

Malheureusement, comme on pourra s'en douter, aucune horde de renards ne nous attaqua durant la centaine de mètres de notre bruyant périple en sous-bois, et ma fierté déjà exacerbée ne put s'enorgueillir d'avantage de la démonstration de puissance du 357, dont la moindre détonation aurait arraché des cris à toutes les filles et fait naître des vocations parmi tous mes copains...

Même notre maître nous semblait respectueux devant le déploiement des signes de l'autorité régalienne ainsi mobilisées pour notre sécurité... Durant ma petite enfance, c'est sans doute le moment où j'ai ressenti le plus d'orgueil grâce à la profession de mon père, et de joie de pouvoir partager ce qui était mon quotidien mais paraissait extraordinaire aux yeux de tous. J'ai bien parlé ici d'orgueil et pas de fierté, car il y a de très nombreuses autres occasions où j'ai été fier de mes parents, grâce à leurs actes ou à leurs comportements exemplaires. Ici, honnêtement, la mission du garde n'était pas des plus périlleuses et il a eu bien d'autres occasions d'illustrer son courage et ses talents, mais l'effet suscité sur ce public si proche de moi et si important à mes yeux d'enfants m'a vraiment permis de ressentir un sentiment très comparable à celui que Marcel Pagnol décrit dans "La Gloire de mon Père"...

vendredi 12 juin 2015

Quelques pensées sur l'Eurovision

Il m'est arrivé de regarder le grand concours de la chanson européenne... L'Eurovision ! Déjà dans ma jeunesse, le côté kitsch de cette manifestation me plaisait beaucoup. Et puis la musique de l'hymne européen, mythique...

Malheureusement, le système de vote est un peu problématique ce qui provoque de flagrantes injustices quand vient le moment de désigner les lauréats. En effet, si le fait que chaque pays participant soit également pondéré est à la rigueur défendable, un problème qui ressort souvent est le poids des diasporas et autres affinités géographiques dans la répartition des voix : au moment des décomptes, je bluffe systématiquement mon entourage en prévoyant, ô surprise, que l'Estonie va placer la Russie en première position ou que la chanson turque sera sur le podium allemand...

Un autre aspect que je trouve dommage, c'est que pour s'attirer les faveurs du plus grand nombre, de nombreux pays choisissent une certaine standardisation, par l'emploi presque systématique de l'anglais par exemple, ou le recours à des shows de plus en plus exubérants, reléguant la performance musicale au second plan.

Récemment, j'ai revu des images des concours originaux de l'Eurovision, dans les années 50-60. Un seul orchestre, un seul micro, les mêmes conditions pour tout le monde. Un peu comme les épreuves de voile olympique où les bateaux sont tous identiques. Une chanson et on vote, point. Je pense que pour l'intérêt du concours, on devrait revenir à un modèle de ce genre. Et si on pouvait en plus remettre tout le monde sur un pied d'égalité en rendant obligatoire l'emploi de sa langue nationale, ce serait idéal. Évidemment, les britanniques sembleraient avantagés, mais bon, comme personne en Europe ne peut les sentir, l'utilisation de l'anglais ne serait qu'une maigre compensation d'un handicap bien plus important...

J'aimerais terminer ces petites pensées en revenant sur le concours de 2009. Cette année-là, la France, lassée de connaître des résultats désastreux, fit appel à la chanteuse la plus reconnue à l'international et particulièrement en Russie où était organisé le concours. Une star, une diva : Patricia Kaas. Adorée dans toute l'Europe de l'Est, considérée en Allemagne comme une enfant du pays, Patricia avait toute les chances de l'emporter face à des concurrents évidemment beaucoup moins connus qu'elle.
Mais là, alors que tout semblait sourire, est intervenue une décision parfaitement incompréhensible, inexplicable : le choix de la chanson : "Et s'il fallait le faire". Certes, on pourra argumenter que cette chanson avait été plébiscitée par les internautes pour être en première position de son album, mais franchement, je pense qu'on ne pouvait en trouver de plus inadaptée pour le concours de l'Eurovision : c'est une chanson très lente, triste et surtout qui ne permet pas à Patricia Kaas d'exprimer pleinement son talent et de mettre en évidence sa voix extraordinaire... Et puis la mise en scène minimaliste, Patricia seule en noire devant un micro fixe quand on sait la bête de scène en laquelle elle peut se transformer... C'était tellement triste et frustrant de sentir le public qui avait envie de s'enflammer mais qui n'en a pas eu l'opportunité. Quel gâchis...

Et malgré tout, Patricia a réussi à finir 8ème, le meilleur classement depuis très longtemps, avec des votes positifs reçus de la part de 25 pays et une deuxième place pour les Russes... Avec une chanson plus entraînante et permettant à Patricia de libérer sa voix, c'était le podium assuré...