vendredi 19 juin 2015

La gloire de mon père

En voyageant intérieurement dans mon passé et mes souvenirs, je me suis rappelé d'un moment pittoresque que je m'en vais vous conter.

J'avais huit ou neuf ans et, comme chaque année, les deux classes (SE+CP+CE1 - CE2+CM1+CM2) qui composaient l'école primaire où je suivais mon cours moyen participaient à une réunion sportive et festive entre les différentes écoles communales du canton.

Cette sortie annuelle était un véritable évènement dans ma vie d'enfant : la journée commencerait par une longue marche (4 km quand même) pour nous rendre sur la grande esplanade qui servait de stade aux 5 ou 6 écoles présentes. Puis on s'affronterait dans tout un tas d'épreuves d'adresse ou de vitesse, on mangerait un pique-nique soigneusement rangé dans notre petit sac à dos. Je pouvais être sûr d'avoir un paquet individuel de chips se périmant le jour de mon anniversaire (on en parle ici) que j'adorais... Et la journée se terminerait par divers ateliers autour des instituteurs : histoires, travaux manuels ou encore chansons accompagnées de la guitare de ce maître à qui il manquait un doigt... Enfin, ce serait le retour, long et épuisant et la longue queue devant le robinet de la cour de l'école pour nous désaltérer après un tel effort... Un peu angoissante parce que je ne savais pas très bien boire au robinet et qu'il y avait un vrai risque de se retrouver complètement trempé (gaugé en VO).

Mais cette année-là, un autre évènement a rendu cette sortie encore plus inoubliable. Nous étions à la fin des années 80, en pleine épidémie de rage dans l'est de la France et, sans parler de psychose, une certaine prudence s'imposait en cas de balade dans la nature. Or, sur le trajet de notre groupe en direction des olympiades se trouvait un petit bois qu'habitaient notamment des blaireaux et des renards, potentiellement infectés par le virus et menaçant pour un groupe d'enfants sans défense. Notre instituteur appliqua donc un principe de précaution (ou les recommandations de l'académie ?) et demanda à mon père, le garde-chasse du secteur, de bien vouloir nous escorter dans la traversée redoutée.

Alors que nous sortions du lotissement et progressions joyeusement sur le chemin de terre qui grimpait jusqu'au fameux petit bois, sous le soleil de juin, nous commençâmes à l'apercevoir au loin. Peu à peu se dessinait sa silhouette rassurante. Il était équipé de tous les accessoires qui firent immédiatement forte impression à tous mes camarades : un képi, des rangers, un uniforme vert sur lequel la plaque traditionnelle des gardes-chasse était accrochée et surtout, bien sûr, un ceinturon supportant le 357 Magnum de service qui assurait notre protection contre l'infection de la rage... Et ouais, c'était mon papa, nous n'avions rien à craindre, c'était lui le meilleur tireur de tout le département !

Malheureusement, comme on pourra s'en douter, aucune horde de renards ne nous attaqua durant la centaine de mètres de notre bruyant périple en sous-bois, et ma fierté déjà exacerbée ne put s'enorgueillir d'avantage de la démonstration de puissance du 357, dont la moindre détonation aurait arraché des cris à toutes les filles et fait naître des vocations parmi tous mes copains...

Même notre maître nous semblait respectueux devant le déploiement des signes de l'autorité régalienne ainsi mobilisées pour notre sécurité... Durant ma petite enfance, c'est sans doute le moment où j'ai ressenti le plus d'orgueil grâce à la profession de mon père, et de joie de pouvoir partager ce qui était mon quotidien mais paraissait extraordinaire aux yeux de tous. J'ai bien parlé ici d'orgueil et pas de fierté, car il y a de très nombreuses autres occasions où j'ai été fier de mes parents, grâce à leurs actes ou à leurs comportements exemplaires. Ici, honnêtement, la mission du garde n'était pas des plus périlleuses et il a eu bien d'autres occasions d'illustrer son courage et ses talents, mais l'effet suscité sur ce public si proche de moi et si important à mes yeux d'enfants m'a vraiment permis de ressentir un sentiment très comparable à celui que Marcel Pagnol décrit dans "La Gloire de mon Père"...

1 commentaire:

  1. Ah ce 357 Magnum ...
    Fierté Française car il s'agissait d'un Manurhin MR73 (MR pour Manurhin et 73 pour la première année de sa fabrication en 1973) avec son canon de 4", dans toute sa splendeur, au pouvoir d'arrêt au moins égal à son pouvoir hypnotisant à cette âge ... !
    Et même bien des années après car il a équipé très longtemps les forces prestigieuses du GIGN qui ont surement "hypnotisés" quelques grands enfants avec...

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