jeudi 5 janvier 2023

Bilan de mes lectures 2022 (moi aussi je peux faire comme dans un blog littéraire branché !)

Cette année 2022, j'ai décidé de m'inspirer d'une tendance repérée en janvier sur des blogs littéraires et de prendre des notes sur mes diverses lectures. Pas de manière aussi poussée que ce que j'ai pu faire pour la notation de nouvelles. Et, contrairement à ce que j'ai pu lire parfois, en me focalisant uniquement sur les "vrais livres", pas les BDs ou les lectures en ligne parce que ça ferait un peu trop.

Cette année, j'ai donc lu huit livres. En tout cas, j'ai pris le temps de rédiger un petit texte pour huit d'entre eux... C'est après cette phrase qu'en général, l'auteur fait un petit bilan par rapport aux années précédentes ou à ses objectifs, mais comme je n'avais ni l'un, ni l'autre, on va directement passer à la revue des ouvrages.

Tout ce qui suit est un énorme divulgâchage en règle, ne le lisez pas si vous n'aimez pas être spoilé, je ne fais aucunement attention à ce que je peux révéler ci-dessous puisque je suis à peu près le seul à le lire et que l'idée est également de stocker ces lectures dans ma mémoire externe... Donc je fais presque attention à divulgâcher le plus possible en fait.

Au soleil redouté (2020) - Michel Bussi

Le dernier Michel Bussi (jusqu'au prochain) est le premier livre que j'ai lu cette année, avant de prendre la décision d'écrire cet article. Je n'ai donc pas pris de notes spécifiques et son souvenir est déjà un peu vague lorsque j'écris ces lignes.

Il s'agit d'un thriller à la Dix petits nègres euh, pardon, à la Ils étaient dix, avec cinq lectrices invitées à un atelier d'écriture sous les tropiques qui sont peu à peu décimées par un tueur en série... Comme dans Les nymphéas noirs, l'astuce utilisée par Michel Bussi est évidemment assez originale, mais on a toutefois un peu l'impression de se faire avoir... Divulgâchons : les cinq lectrices apprenties écrivain rédigent un manuscrit durant leur séjour, dans lequel elles s'inspirent évidemment des évènements qui leur arrivent durant leur séjour marquisien. Bien qu'il nous répète en boucle que jamais il ne mentira dans ce document, l'auteur oublie habilement de nous prévenir qu'on saute du roman d'une des lectrices à celui d'une autre, si bien que ce qu'on prend pour le récit de Clémence est en fait écrit par Martine, etc. Il est donc facile de cacher les agissements de l'une ou de l'autre mais la gymnastique est évidemment périlleuse et, même si le tout est globalement assez bien maitrisé, le roman ne résiste pas à une relecture scrupuleuse qui met en exergue quelques incohérences inévitables. Assez en tout cas pour me décevoir à la fin, mais il faut dire que je suis particulièrement scrupuleux à ce que l'effort de suspension de mon incrédulité soit récompensé à sa juste valeur... Or ici, j'ai l'impression que le contrat n'est pas tout à fait rempli.

13 à table ! 2016 - Collectif

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Le Prieuré de l'Oranger, tome I (2019) - Samantha Shannon

Pas un roman que j'aurais choisi spontanément puisqu'on est dans un registre que je fréquente assez peu, de l'heroic fantasy a priori (je suis pas un spécialiste de la classification non plus, hein ?), même si je l'ai fréquenté et apprécié chez JRR Tolkien bien sûr.

Ici, on est plongé dans un univers complet et vaste, dans lequel on retrouve et identifie énormément de traits de notre monde réel du Moyen-Age (la Vertu pour la chrétienté, le Sud avec les musulmans, à l'Est les asiatiques isolés et leurs traits culturels, etc.). On n'est donc pas vraiment dépaysés et pourtant, on passe pas mal de temps à vérifier les lieux sur les cartes géographiques présentées au début (j'adore !) ou à se remémorer quel personnage est qui. Honnêtement, je pense qu'il y en a un peu trop et le fait que l'histoire se déroule en parallèle mais presque sans aucun lien entre l'Ouest et l'Est (puis même le Sud dans un deuxième temps), rend le tout assez difficile à suivre.

En revanche, c'est plutôt bien écrit et le rythme narratif est excellent et pousse à vouloir toujours lire le chapitre suivant pour découvrir ce qui va arriver à notre Reine d'Inys, à notre dragonnière asiatique (euh pardon, estienne) fautive ou à l'Ambassadeur de la Vertu plongé au cœur de la renaissance du Sans-Nom...

Un point spécifique, qui a sans doute justifié ce cadeau de Noël si particulier, est la volonté de l'auteure à déconstruire les clichés sexo-binaires de nos représentations du monde : à l'Ouest, on suite les péripéties politiques d'un Reinaume (jolie traduction de Queendom je présume) et les différents protagonistes semblent tous être attirés indifféremment par des partenaires amoureux des deux sexes. Bref, un monde parfaitement bisexuel et accepté pour tous comme tel. On a également une représentation caricaturée du racisme généré par la religion et l'ignorance qu'elle implique de l'Ouest envers l'Est et on imagine assez bien que durant la résolution de l'intrigue qui interviendra sans doute dans le second tome, seule la transcendance de cet obscurantisme permettra de sauver le Monde des forces du mal. Bref, une écriture un peu woke, mais pas désagréable pour autant. Si j'en ai l'occasion, je lirai sans doute avec plaisir le tome II.

La plus secrète mémoire des hommes (2021) - Mohamed Mbougar Sarr

Et ouais, le Goncourt, rien que ça pour continuer les lectures de l'année !

Impressions mitigées pour cet ouvrage atypique, qui s'apparente plus à un manuel de philosophie initiatique qu'à un roman. On ne retrouve pas en tout cas la structure classique d'arc narratif et la "chute" n'est ni spectaculaire, ni inattendue mais ce n'est pas l'effet recherché... Bref, c'est évidemment un peu déroutant.

Le style interpelle également : mêlant des termes très érudits au pire langage ordurier de la rue, qui traduit bien je pense la façon dont on peut penser lorsqu'on possède à la foi la culture et l'extraction sociale de l'auteur.

L'ouvrage est également déroutant par l'enchevêtrement de récits des nombreux personnages, emmêlés dans une trame commune et sans doute finement réfléchie qui tisse un canevas complexe dans lequel transparaît le message complet de l'auteur.

Le tout donne une impression d'énorme densité de messages transmis, de mises en abîme continuelles entre l'auteur, le narrateur et le héros, qui mériteraient sans aucun doute une deuxième lecture (voir plus) pour tenter d'en appréhender la quintessence. C'est souvent profond, très bien analysé et sans aucun doute polémique.

Citons pêle-mêle les thèmes de l'introspection de l'écrivain, l'histoire de la littérature en général ou l'allégorie de l'africain métissé et "blanc à l'intérieur". Le tout avec de nombreuses références à la culture africaine plus ou moins métissée par l'Occident, comme le montre l'importance de la sorcellerie dans l'ouvrage. Donc, un livre dense, riche, sans doute beaucoup plus complexe que ce que ma lecture dilettante a pu en retirer. Sûrement également prétentieux et exagérément ampoulé. Bref, une œuvre collant parfaitement à l'image que j'ai d'un roman primable au Goncourt...

E=mc² mon amour (1977) - Patrick Cauvin

Histoire qui m'a beaucoup touché, probablement par effet d'identification à ces jeunes surdoués et parce que ce qu'ils vivent (décalage et précocité) fait écho dans un certain sens écho à ma propre adolescence. 
La dualité de point de vue est plutôt réussie. L'exercice est difficile et je me souviens avoir remarqué quelques minimes anicroches que ne j'ai pas même notées : je suis sans doute trop pointilleux et  impliqué pour objectivement juger (je pense que je m'attends trop à ce que les sentiments exprimés collent parfaitement à ce qu'aurait été mon ressenti dans la situation. Or j'étais un peu plus intégré à la communauté que ces deux-là je pense, un peu moins en décalage) 
Ce roman est également une formidable analyse de l'enfance, du temps qui passe et de la question de la permanence de l'identité. On peut légitimement se poser la question : suis-je la même personne que lorsque j'étais ado ? De la même manière que les héros réalisent qu'ils seront différents dans une dizaine d’années... 
Première réflexion : heureusement que je n'ai pas lu E=mc² mon amour à 12 ans, cela m'aurait sans doute encore plus plongé dans une recherche d'absolu amoureux et relationnel et accru les questionnements métaphysiques angoissants que je refoule depuis toujours... 

Un amour (1963) - Dino Buzzatti

On dit de Buzzatti que son métier de journaliste lui a donné l'habitude d'utiliser des thèmes et des récits de la vie quotidienne et d'en faire ressortir l'aspect fantastique. Dans un style kafkaïen (l'homme impuissant face au monde) et surréaliste (avec une vision onirique).
C'est exactement le sentiment qu'on peut avoir lorsqu'on lit Un amour. A partir d'une situation banale, éternelle et intemporelle (sauf peut-être à notre époque) à savoir la fréquentation par des hommes établis de prostituées plus jeunes dont ils s'amourachent, il parvient à faire s'ouvrir sous les pieds du lecteur le gouffre existentiel et vertigineux qui nous saisi lorsqu'on se met à réfléchir au sens de la vie, au temps qui passe, tout ça... Précipice du bord duquel on préfère généralement s'éloigner de quelques pas pour ne pas être happé par l'insoutenable vérité de la vanité de nos existence. Ben, le héros, lui, il est bien happé je peux vous le dire, par le temps, la jeunesse, la perfidie innocente des petites ingénues qui peuvent rendre fou un homme, au propre comme au figuré.

Bilbo le Hobbit (1937) - J.R.R. Tolkien

On ne peut pas à proprement parler de découverte en évoquant ma lecture de ce roman en cette fin d'année. En effet, j'avais découvert Tolkien dans la bibliothèque du collège en sixième et j'avais souvenir d'avoir adoré cette incroyable aventure de hobbit, nains, elfes et dragons, dans un univers d'une richesse incroyable... J'avais lu dans la foulée la trilogie du Seigneur des Anneaux, je l'ai relue il y a quelques années et j'avais enchainé sur les films, mais je n'ai pas encore vu le Hobbit qui a priori s'inspire des aventures de Bilbo. C'est donc avec juste quelques souvenirs que j'entamais la relecture tant d'années plus tard.
Le plus marrant je crois, ce n'est pas ce que j'ai pensé de l'histoire, du style ou de l'écriture de Tolkien. Il n'y a pas besoin de mon analyse pour qu'on sache que c'est un génie et que ce roman est super et à conseiller à tous... Non, le plus drôle, c'est, je crois, les surprises que j'ai eu par rapport à mes souvenirs.
La première étant que je ne me souvenais pas que le livre était si court, si rapide à lire... Ça m'a rappelé une sensation que certains connaissent sans doute. Mais pour ça, il faut avoir déménagé dans son enfance... Alors, quand, adulte, on retrouve un banc, un mur, une cour de récréation et qu'on s'aperçoit que ce qu'on se rappelait inatteignable, infranchissable ou très étendu est en fait de taille beaucoup plus raisonnable que dans son souvenir. Là, pour Bilbo le Hobbit, c'est la même chose. J'ai mis des heures de perm' à le lire, à un rythme probablement bien inférieur à ma vitesse de lecture actuelle, si bien qu'il m'a semblé bien plus court maintenant.
Et ma seconde surprise a été la grande faiblesse de l'interaction entre Smaug le dragon et Bilbo... Ils ne se rencontrent qu'une fois et demi, discutent à peine, alors que je me souvenais d'une intensité dramatique bien plus intense, de mille ruses de Bilbo et d'une mort bien plus spectaculaire pour notre terrible gardien de trésor. Pareil pour le concours d'énigmes avec Gollum... Bref, dans mes souvenirs, le roman était quand même vachement plus épique !

Code 612 : qui a tué le Petit Prince ?(2022) - Michel Bussi

On finit l'année littéraire comme elle avait commencé, en lisant le cadeau de Noël destiné à mon épouse qui adore Michel Bussi... Et on a ici tout ce qui fait un bon Michel Bussi... Des références très étayées sur Saint-Ex et son Petit Prince, des tas de renvois et de coïncidences qu'on trouvera sans doute incroyables si on l'a relu ou qu'on le connait bien. Qui seront sans doute moins spectaculaires et plus discutables si on connait TRÈS bien le Petit Prince, mais je suis sans doute un peu médisant, car, je ne fais clairement pas partie de cette catégorie (je l'ai lu une fois, au collège sans doute, et je n'ai jamais considéré que c'était le roman du siècle...)
Et puis, on a de jolis tours de passe-passe. Ça faisait longtemps que je n'ai pas mis en garde mon lecteur imaginaire mais je vais divulgâcher : j'ai bien aimé par exemple le fait qu'il n'y ait qu'un habitant dans le royaume imaginaire écossais (ça doit faire écho au roi solitaire sur la planète dans la version originale saint-exupérienne, mais c'est bien écrit par Bussi quand même), et bien sûr le fait que les meurtres n'en soient pas, même si on se doutait que ce serpent dans une boîte, ce n'était pas très crédible...
Bref, un agréable moment de lecture, une bonne cuvée qui n'est pas cette fois gâché par des ficelles trop grosses ou des incohérences. Un roman dévoré d'une traite comme à chaque fois, une recette efficace pour nous pousser à toujours lire le prochain chapitre, mais la sensation malheureusement inéluctable de ne pas retrouver l'exaltation de la découverte de ce style si particulier... On n'est plus surpris d'être surpris en quelque sorte, mais on lira sans doute le cru 2023 avec la même curiosité.