mardi 31 août 2021

J'aime : écrire des messages dans les livres d'or...

Avant, j'étais comme tout le monde : je ne savais pas trop quoi écrire sur les cartes de vœux, livres d'or et autres agendas qu'on se faisait signer en fin d'année scolaire. Donc, je faisais comme tout le monde : j'écrivais une banalité d'usage, sans saveur ni personnalité et je me débarrassais bien vite de cette petite corvée pour me concentrer sur le buffet du pot de départ du vague collègue à qui on souhaitait une bonne retraite.

Et puis, un jour, dans un mariage où j'avais réussi à esquiver la corvée mais qu'on avait fini par me l'imposer en toute fin de soirée, alors que je lisais les messages précédemment laissés (peut-être pour me convaincre que quoi que j'écrive, ce ne serait pas plus tarte) j'ai trouvé marrant d'inscrire en bas d'une des premières pages : "Chut ! Le livre dort..."


Enhardi par cette première violation de la sacralité du recueil, j'ai profité d'une demi-page laissée libre pour écrire un mot de remerciement bidon signé d'un nom inventé, juste pour égayer un peu la lecture des futurs mariés par un petit débat sur l'identité de ce Charlie qui trouvait les choux à la crème si réussis. Rien de bien extraordinaire, certes, mais je débutais !

Depuis ce jour, en toutes circonstances, j'accueille la vue d'une bafouille à rédiger non plus comme une contrainte mais plutôt comme une merveilleuse opportunité de laisser libre cours à ma fantaisie créatrice. Ça me rend ce fastidieux exercice agréable, me permet de faire passer des messages parfois beaucoup plus sincères et, même si ça tombe à plat ou peut paraitre bizarre (on est pas toujours hyper-inspirés non plus), je me dis qu'on appréciera l'effort pour avoir tenté un truc original.

Bon, je vois bien que ce que vous voulez, ce sont des exemples... Malheureusement, je n'ai pas immortalisé beaucoup de ces messages et j'en ai sans doute oublié pas mal, mais quelques uns me reviennent en tête. J'ai tenté quelques poèmes pétés parfois dont j'ai bien fait d'oublier les rimes foireuses je pense. J'ai osé une longue histoire pour le pot de départ d'une jolie secrétaire qui se faisait lourdement draguer par les vieux boss de la boîte : l'idée était de pouvoir introduire une contrepèterie (elle en était friande) sans que les autres lecteurs ne s'en doutent où je lui conseillais au final de se méfier "des grands qui cherchaient à l'acculer". C'est passé crème et ça l'a bien fait marrer...
Et pour terminer j'ai trois messages dont je me souviens bien (en vrai il y en a deux que j'ai pris en photo et je viens de retomber dessus, c'est la raison première qui me pousse à écrire cet article), les voici donc :

Le premier est une petite carte, prévue juste pour ma mère et moi, pour le baptême de mon neveu et filleul (Tom, le fils de Marcel et de sa femme Clémentine). 80% de l'espace est occupé par ce message :

Coucou,

Juste un MOT pour TOM..... Ha ha ha, jeu de tom, euh, de mots... Bon, d'accord, l'inspiration est pourrie [NB : d'autant plus que Marcel avait déjà fait cette blague dans la famille, quand il nous a fait deviner le prénom de son fils en nous disant qu'il n'y avait que trois lettres qui lues à l'envers faisaient un mot... Le petit malin. Moi du coup je voulais l'appeler Luc mais ça n'a pas été retenu semble-t-il], tellement que je me suis dit que j'allais écrire très mal, de manière presque illisible, pour laisser planer le doute sur la qualité de mes blagues. Ainsi, on s'imaginerait toujours qu'elles sont beaucoup plus drôles qu'en réalité... Malin, mais inutile ! En effet, en commençant à écrire, j'ai trouvé le ton juste, ce qu'il fallait absolument écrire dans ce genre d'occasion, de manière à rendre ce mot accompagnant un cadeau de baptême parfait, un modèle du genre, une référence. Cher Marcel, chère Clémentine, cher Tom, [à partir de là, l'écriture devient de plus en plus difficile à lire, ça fait quelque chose qui ressemble vaguement à :] savez-vous pourquoi grbou la martina à lou moucher des baptisés drou piroupar ? Artofi du rabouli martonla tout grob. Tirbou la Tom. Oui, Tom d'illos ta maintne. Et pourquoi ? Ma rataboule dimarti ! Oui, matil-nou à nous mais aussi à la vie !

Je vous laisse vous remettre de la profondeur de ces paroles. J'imagine que vous voudrez en discuter mais vous comprendrez qu'elles ne peuvent garder leur portée et leur grand humour qu'écrites...

Je laisse la place à maman pour un mot beaucoup plus chiant traditionnel...

Bisous Tom,                                 Ton parrain 

Le deuxième a été laissé dans le livre d'or d'un mariage d'amis. Je crois que je m'ennuyais un peu, j'ai bien dû rester une demi-heure en tête-à-tête avec les pages du cahier :

Cher Delphine, cher Romuald,

Connaissez-vous l'incroyable histoire des pommes de terre qui voulaient être des tomates ? Non ? Laissez-moi donc vous la raconter en deux mots.

Cette histoire se passe dans un jardin comme il en existait beaucoup dans la France de l'après-guerre : un petit carré de verdure en bordure d'une banlieue ouvrière où logeait une belle diversité de travailleurs occupés à reconstruire le pays ravagé par les combats et l'Occupation. Une femme, magnifique et courageuse, cultivait ces quelques ares pour mettre un peu de beurre dans les épinards, ou plus exactement, un peu d'épinard dans l'assiette (parce que même en plantant un beurrier dans un jardin, on n'obtient pas de beurre à la fin, on peut juste récolter un beurrier sale à la rigueur si on l'a pas paumé. Donc, s'il vous plaît, n'essayez pas avec celui de votre liste de mariage, ce n'est pas la peine. Et si vous voulez quand même essayer, mettez une petite fiche dans le sol avec marqué "beurrier" dessus pour le retrouver plus facilement à la fin de la saison. En vrai, je conseille de plutôt d'écrire "haricot beurre" sur la fiche, comme ça vous le retrouverez tout pareil mais vous passerez moins pour des cons à avoir voulu à tout prix planter un beurrier pour faire pousser du beurre à mettre dans les épinards alors que je vous avais prévenu dans le livre d'or de votre mariage que ça ne marcherait pas, et tout le monde le sait puisque, attirés par ce long pavé, tout plein de vos invités vont de manière parfaitement indiscrète lire ce message [oui, je vous vois, lecteurs clandestins du futur proche, happés par le suspens qui s'installe ! Non, ne craignez rien, je ne vous juge pas. Moi-même, je l'avoue, j'ai lu le message passionnant de tata Jeannine sur comment un mariage pluvieux est un mariage heureux avant de me lancer dans mon histoire de jardinage... Installez-vous confortablement, je me sens en verve, ce n'est pas fini]). Cette femme qui cultivait ce jardin, avait une histoire passionnante, dont nous n'avons étonnamment rien à carrer puisque c'est son potager qui nous intéresse. Non, je ne parle pas de son vieil ami retraité (cette blague passe mieux à l'oral) mais bien de ses légumes !

En effet, il se jouait dans ce jardin un drame que n'aurait pas renié La Fontaine qui nous aurait sans doute écrit un truc comme :
Dans les allées bêchées du jardin sus-cité
Les tomates aux patates jalousie suscitaient.
Mouais, sauf qu'en général, il s'ennuyait pas à pondre des beaux alexandrins comme ça, avec une belle césure et des rimes bien riches. Une petite traduction d'une fable d’Ésope, deux trois vers boiteux qui sonnent à peu près juste, une verveine et au lit. Donc, si ça vous dérange pas trop, on va continuer en prose, j'ai une deuxième tournée de buffet de desserts qui m'attend...

Donc oui, les pommes de terre étaient jalouses des tomates ! Elles auraient, elles aussi, voulu être tendres et bien rouges. Alors, elle demandèrent conseil aux cerises : "comment faites-vous pour avoir cette belle couleur et cette chair si juteuse ?"
- Mais peuchère, collègues, leur répondirent-elles avec leur accent bigarreau, il vous faut prendre le soleil... Si vous restez ainsi enterrées, pas étonnant que vous trainiez ces mines d'endives anémiques ! Nous, si on se retrouve à l'ombre, on reste toutes vertes et toutes dures tandis qu'au soleil, bonne mère,
Notre couleur éclate, notre saveur explose,
Le sucre fait notre joie et notre chair bien rose. (Putain, mais barre-toi La Fontaine, on n'a dit qu'on n'en voulait pas de tes alexandrins mités. De tes vers véreux en somme). 

Les pommes de terre suivirent immédiatement ce conseil et commencèrent à affleurer, sortant à l'air pour profiter du soleil. Et quel miracle de la nature s'opère dans ce cas ? Le pied de pomme de terre sent l'impact du soleil sur ses tubercules et la transformation magique s'opère : le tubercule s'appauvrit en amidon et peu à peu se transforme en organe photosynthétique : les pommes de terre deviennent donc encore plus dures et verdissent pour se charger en chlorophylle ! Et oui, à vouloir rougir et s'attendrir, ces connes sont devenues dures et vertes ! Purée... C'est d'ailleurs bien ainsi que cela finit. En purée : les tomates se prirent la tête avec les pommes de terre, castagne, purée rouge partout. La belle jardinière excédée : purée de patates. Avec du beurre. Direct du beurrier. Et une pointe de persil pour la couleur, alors que le persil il n'avait rien demandé, mais il finit coupé aussi. Ça lui apprendra à faire des frisotis dans son coin.

Et bien je pense que votre mariage en fait, en y réfléchissant bien et en considérant soigneusement toutes les implications morales et les différents degrés de lecture de cette petite fable sans prétention, je pense disais-je que votre mariage, ça n'a absolument rien à voir et aucun rapport avec mon histoire.

Emmanuel

Et pour terminer, voici comment j'ai rempli un bon tiers d'une grosse carte d'anniversaire d'une amie :

Chère Stéphanie,

Plutôt que des vœux très classiques, ce soir, je voudrais te raconter une histoire... Pas n'importe quelle histoire, mais les fantastiques aventures d'un petit lapin que tout le monde surnommait "Lapinou" (ouais, ils étaient nuls sur les surnoms). Lapinou aimait gambader dans la garrigue, se baffrant de trèfle, thym, lavande et romarin.
Mais du coup, il eut soif. Il se rendit donc chez Père Castor (oui, je sais qu'il n'y a pas de castor dans la garrigue, mais lui y était immigré) qui tenait la boutique d'alimentation générale, 7j/7, 20h/24... Lapinou lui demanda s'il avait du Coca Cherry Zéro parce qu'il en avait vu dans une pub à la télé. Mais Castor n'en avait plus.
"Demain je suis livré mon frère si Dieu veut."
Le lendemain, rebelote : pas de Coca Zero Cherry parce que le paysan du champ voisin avait changé ses moutons de pâture, donc, avec la nouvelle clôture, impossible de livrer Castor sans passer par le champ du taureau qui n'était pas commode ces temps-ci, rapport aux génisses qui voulaient pas que... Bref, pas de Coca...
[Hey, Emmanuel, c'est pas bientôt fini ? Oui, oui, j'arrive, j'arrive]
"Mais demain il y en aura, promis juré craché sur la tête de tata Rachel (les castores s'appellent soit Rachel, soit Sylvie, c'est une tradition).
Le lendemain, pas de pot (de lapin), il fait un temps abominable, une véritable tempête... Lapinou ne met pas une oreille dehors de la journée. Mais le jour suivant, le revoici chez Castor. Et là, c'est le drame, plus de Coca ! Tout est déjà parti lui dit-on ! Quelle infamie !
"Mais, Castor, tu as été livré ?"
"Oui Lapinou, comme prévu !"
"C'est pas possible, quand as-tu vendu tout ton stock ?"
"Mais Lapinou, hier !" L'HAPPY NEW YEAR ! Bonne année, tous mes vœux de bonheur !
[Hey, tu sais que c'est un anniversaire espèce de blaireau ? On est en mai] Ah, euh, oui... Bon, ben comme les autres alors : Joyeux anniversaire !

Emmanuel

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