mercredi 6 juin 2018

Dites-moi stop

À l'occasion d'un déjeuner, dans un bar à salades nouvellement ouvert près du bureau, un souvenir douloureux refait surface...
Dans cet établissement, on compose soit-même sa salade, 4 ingrédients en plus de la base et une sauce, que la serveuse nous propose de verser à la quantité de notre choix : "dites-moi stop" dit-elle en commençant à verser.
Mais bien sûr, on me prend manifestement pour un idiot. À mon âge, penser que je vais tomber dans un tel panneau... Je lui laisse bien verser toute la quantité désirée et la gratifie d'un "merci" de circonstance. Et toc, je me suis pas laissé avoir...

Comment ça, vous ne voyez pas le problème ? Allez, réfléchissez-y un peu ? C'est bon, ça vient ?... Comment, que dîtes-vous ? Mais non, le soucis n'est pas que les clients sont enclins à mettre fin au versement de sauce trop tôt et que le resto économise donc trois bouts de chandelle sur sa sauce... Vous n'y êtes pas. Pas du tout. On voit bien que vous n'avez pas assisté à la scène terrible qui s'est déroulée alors que j'avais 5 ans, en classe de neige de la maternelle, je m'en souviens comme si c'était hier avec une rage non contenue.
Situation assez analogue : lors du dîner après une longue journée de glissade sur les fesses (j'ai jamais réussi à faire plus d'un mètre avec des skis le premier jour et ai passé les deux suivants à faire de la luge), une accompagnatrice me sert des haricots verts. "Tu me dis stop" m'indique-t-elle, probablement habituée à tous ces difficiles qui ne connaissaient pas la purée de ma mère. Je la laisse bien remplir mon assiette avant de lui signifier que la quantité est parfaite : "Stop !" m’écriai-je ravi. "On ne dit pas stop, on dit merci" m'assène sèchement la maîtresse qui m'avait entendu en passant, mais qui avait sans doute raté le début de cette interaction maudite... Pan, sur les doigts. Pris en flagrant délit d'imperfection, alors que j'avais parfaitement respecté la consigne ! Toute l'injustice du monde qui s'abat sur mes frêles petites épaules tremblantes, un sentiment de vertige intérieur, une chute immense et, avant d'avoir pu esquisser le moindre mouvement de justification, les larmes qui jaillissent. J'ai fondu en larmes devant tant d'adversité et je crois que j'ai pleuré durant tout le repas...
Bon, il est possible qu'enfant, je fusse un tantinet sensible. Sans me souvenir de circonstances si précisément, je sais que je fondais régulièrement en larmes à la moindre remarque à l'école primaire. Cela m'arrivait même au collège... Je ne sais plus pourquoi je pleurai dans le bureau de la Conseillère d’Éducation, une histoire de facture de cantine que je n'avais pas transmis à mes parents je crois, et elle s'est empressé de me consoler. Pareil pour l'infirmière scolaire qui m'a dit que je devrais porter des lunettes...

Ah oui, un autre souvenir analogue. En classe de 5ème, sortie scolaire avec la prof de biologie (une remplaçante). On passe devant un étal de primeurs et je chippe une cerise. Sans m'en cacher et sans y penser à mal : on faisait toujours ça pendant les courses avec ma mère au rayon fruits et légumes de son supermarché fétiche, ça me semblait être un droit fondamental du consommateur... Et pan, elle m'invective sèchement, mais qu'est ce que tu fais, c'est du vol, il faut payer, s'excuser... Comble de guigne, en plus, la cerise était pourrie ! Les larmes montent, je la recrache piteusement dans le caniveau entre deux sanglots... Bref, la honte devant tous les camarades, un voleur et un pleurnichard en même temps...  J'ai franchement détesté cette grosse vache toute l'année, j'ai refusé de m'intéresser à sa matière pourrie, à prendre la parole une seule fois dans son cours de merde et j'ai eu des notes dégueulasses, ce qui était tout de même assez rare pour être signalé (enfin, quand je dis dégueulasse, c'était 12 ou 13 quoi, faut pas déconner non plus)... Avec le recul des années, la maturité et le fait d'avoir des enfants à éduquer, je me dis que la réaction de cette prof était tout à fait légitime et qu'elle a bien fait de ne pas fermer les yeux. De plus, elle ne pouvait imager la disproportion de ma réaction. Il n'empêche qu'en écrivant ça aujourd'hui, le sentiment qui prédomine est que je pense que c'est une grosse pute. Ouais, une bonne grosse pute, sans doute vieille et moche qui croupit toute seule dans une maison de retraite miteuse, ce qui est bien fait pour sa sale gueule de conne.

Bon, nous disions donc un tantinet sensible et peut-être un brin rancunier aussi en fait...

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